Grenoble : la Silicon Valley européenne qui s’ignore
J'ai passé une tête au salon tech&fest à Grenoble il y a quelques mois. J'y ai découvert plusieurs startups à très fort potentiel, portées par un écosystème florissant.
Et si la nouvelle Silicon Valley se trouvait au pied des Alpes ? Avec leurs technologies de pointe, les startups grenobloises attirent l'attention du monde entier. Moi, je les ai découvert au salon tech&fest à Grenoble en février dernier. Co-organisé par les camarades de Numerama, ce tout jeune festival de la tech m’a fait envie. J’ai sauté dans un train, sans trop en attendre grand chose mais j’y ai découvert une Silicon Valley européenne ou, au moins, française qui s’ignore. En tout cas, pour nous les journalistes parisiens qui ont encore du mal à sortir du nombril de l’hexagone.
Sur place, on me parle de Verkor, Aledia, GreenWaves ou bien Quobly. Je ne les connaissais pas et pourtant ces boîtes viennent de lever des sommes tout à fait conséquentes pour développer des technologies essentielles pour l’avenir de l’Europe, telles que des batteries à faible émission de carbone, des micro-écrans, des semi-conducteurs, du calcul quantique et de la fusion nucléaire.
Largement soutenu par le plan France 2030, Grenoble se classe quatrième en Europe pour le financement des startups, grâce à son écosystème où la recherche universitaire et l'industrie collaborent étroitement. Les universités de la ville, comme l'Université Grenoble Alpes et le CEA-Leti, fournissent un terreau fertile pour l'innovation. Une culture de l’innovation qui remonte en réalité au 19e siècle, lorsque Grenoble est devenue un centre de recherche sur l'électricité, grâce à ses centrales hydroélectriques.
Revenons un petit peu sur son histoire.
Nichée au pied des Alpes, Grenoble est depuis longtemps l'arme secrète de la France en matière de deeptech. Comme le raconte très bien le média spécialisé Sifted dans cet article, le développement de Grenoble a commencé au 19e siècle, lorsque sa proximité avec les montagnes a conduit au développement de centrales hydroélectriques, attirant les meilleurs scientifiques en électricité. Plus tard, le physicien prix Nobel Louis Néel a quitté Paris pendant l'occupation nazie et s'est installé dans le laboratoire d'un ami installé au coeur de la capitale des Alpes. Après la guerre, Néel a décidé de rester et a convaincu le gouvernement de créer un centre de recherche nucléaire, qui est devenu le CEA-Leti. Il a également persuadé le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de France d'ouvrir son premier grand laboratoire en dehors de Paris.
Alors que Grenoble grandissait, les liens entre universitaires et industriels sont devenus exceptionnellement forts.
Ça n’était pas gagné d’avance. En France, les chercheurs universitaires sont historiquement réticents à collaborer avec le privé, considérant les entrepreneurs comme des mercenaires de la science et méprisant l'idée de tirer profit de la recherche publique. Mais cette tension électrique (vous l’avez ?) n’a plus vraiment lieu d’être aujourd’hui. Pour faire évoluer ces mentalités, la banque nationale française (Bpifrance) a fait de l'évangélisation sur le sujet, en encourageant les ponts entre la recherche publique fondamental et l’industrie, jusqu’à en faire le pilier de son plan d'investissement deeptech de 3,5 milliards d'euros.
C’est ce qui a fait la force de la Californie et de sa Silicon Valley. Pourquoi pas s’inspirer des meilleurs, tant qu’à faire ?
L’entreprise Verko en est un très bon exemple. Benoit Lemaignan, cofondateur et PDG en est emblématique. Après une carrière d'ingénieur aérospatial, sa sensibilité pour l'environnement l'a conduit à Grenoble. Attiré par sa communauté de scientifiques travaillant sur des technologies vertes sans s’interdire des échanges avec l'industrie privée. Il a finalement cofondé une startup de biogaz qui est devenue publique, avant de la quitter pour créer Verkor. Aujourd’hui, modèle de réussite, l’entreprise a tout d’un futur géant. Elle devrait livrer dans un peu plus d'un an ses premières batteries électriques « propres », après avoir levé plus de 2 milliards d’euros.
Dans les rues de Grenoble, il est courant de croiser des randonneurs. Bottines encore pleines de boue ou les raquettes enneigées accrochées au sac à dos. Mais il est très probable que ce soit un chercheur de l’une des plus grandes boîtes tech, qui profite de son après-midi libre. La ville compte 30 000 employés dans les laboratoires de recherche, selon Invest in Grenoble Alpes, l'agence de développement économique de la région. Selon l'INSEE, l'agence de statistique française, 7,6% de tous les emplois à Grenoble sont dans la R&D — soit le niveau le plus élevé de France. Les ingénieurs représentent 9,2% de tous les emplois à Grenoble, juste derrière Toulouse. Porté par l’industrie aéronautique depuis belle lurette.
Ces emplois sont répartis dans des institutions publiques telles que l'Université Grenoble Alpes, l'une des meilleures écoles d'ingénieurs de France avec ses 60 000 étudiants, qui se spécialisent en nanoscience et nanotechnologie, et le CEA-Leti, l'un des instituts de recherche les plus prestigieux au monde pour l'électronique et les micro-technologies.
Mais on retrouve maintenant de plus en plus de laboratoires privés, qui ont compris qu’il serait compliqué de déloger les scientifiques de leur vallée de la Chartreuse et ont plutôt décidé de se rapprocher d’eux. Comme Google, Salesforce, Oracle, HP et Apple, qui se côtoient dans les pôles d'innovation dispersés dans la région.
“Ce n'est pas juste de la recherche pour la recherche. La principale motivation est d'avoir un impact en imaginant des utilisations pratiques” selon Invest Grenoble. De là à ce que cet impact soit converti en espèces sonnantes et trébuchantes, il n’y a qu’un pas.
Alors, on la tient notre capitale européenne de la tech ?
En 2023, plus d’une trentaine de startups de Grenoble ont levé des fonds pour un montant cumulé de 1,12 milliards d’euros. Grenoble se classe troisième (à égalité avec Munich) en matière de financement parmi les villes européennes en 2023, derrière Stockholm, Paris et Londres, selon Dealroom.
Tout ce qui manquait à Grenoble, c’est le capital-risque. Mais avec les VC, les décideurs politiques européens et français, qui ont fait du soutien aux champions de la tech leur priorité, tout porte à croire que la vallée de la Chartreuse sera bientôt reconnue pour autre chose que son élixir vert.