« L'accident heureux, c'est ça qu'on recherche »
Christophe Payet, co-créateur de PhantasIA sur Arte, raconte comment ils utilisent l'IA pour questionner... l'IA
Depuis mai 2025, Arte diffuse PhantasIA, un magazine mensuel de 24 minutes qui explore les créations artistiques nées de l'intelligence artificielle. Mais le projet va plus loin : l'émission utilise elle-même l'IA pour ses voix off, générées par NotebookLM, et mobilise huit outils différents pour sa production. Une approche méta qui transforme chaque épisode en laboratoire créatif.
Né au sein de l'Atelier de recherche d'Arte France, PhantasIA assume pleinement sa dimension expérimentale. Loin de la course au photoréalisme qui obsède les géants de la tech, l'émission privilégie les détournements créatifs, les glitchs assumés et les accidents heureux. Entre Anna Apter qui explore la solitude numérique des adolescents et Seumboy Vrainom qui reconstitue des images de crimes coloniaux occultés, PhantasIA dessine les contours d'un art en mutation.
Christophe Payet, co-créateur du projet avec Daniel Khamdamov, apporte son expertise forgée à France Culture, France Inter et Radio Nova, ainsi que son expérience de fondateur de Sonique et co-créateur de la maison d'édition Marchialy. Ce passionné des cultures émergentes nous raconte les coulisses d'une émission qui questionne notre rapport à la création et à la technologie.
Plus d'un an de travail sur PhantasIA... Raconte-nous comment tout a commencé, les moments où vous vous êtes dit « ah là on tient un truc unique » ?
Il faut un peu de contexte : on a créé cette émission dans le cadre de l'Atelier de recherche d'Arte France. Avec mon camarade Daniel Khamdamov (co-créateur de PhantasIA), on prend donc la suite de Paul Ouazan, réalisateur-expérimentateur génial, qui a fait de l'Atelier de recherche un espace unique de création télévisuelle (Die Nacht/La Nuit, Snark, Hypernuit…), avant de prendre sa retraite l'année dernière. Donc on s'inscrit dans cet héritage, cette lignée, d'un laboratoire créatif.
Notre direction avait le souhait de prolonger le travail de l'Atelier de recherche, mais aussi de le renouveler avec une dimension plus "R&D". La priorité a donc été de s'intéresser à l'IA, mais toujours avec cet ADN : celui de la création. On n'était pas là pour créer un nouveau magazine de décryptage - Le dessous des images le fait déjà très bien - mais un laboratoire où on met les mains dans le cambouis.
On a bossé sur la conception pendant une année environ, en rencontrant un maximum de créateurs tous azimuts : des artistes numériques, des vidéastes, des réals, des photographes, des musiciens, des intellectuels aussi, des penseurs de l'IA… Avec une question : quel format inventer pour retranscrire au mieux le foisonnement créatif en cours ? Comment documenter une forme d'état de l'art, tout en étant nous-même un labo, une plateforme de talents, un espace d'expérimentation ?
On avait des références en tête, comme L'œil du cyclone (émission du Canal+ des années 90 sur les "images nouvelles") mais version IA et 2025.
L'enjeu principal était de trouver un équilibre entre une expérience audiovisuelle jubilatoire et pop, et la nécessité impérieuse de faire de la pédagogie, d'expliquer comment les choses se fabriquent et pourquoi. Et surtout de toujours montrer l'humain derrière, car on ne parle pas de création par l'IA, ça n'existe pas. Mais de création avec l'IA, par des êtres humains, qui sont de véritables auteurs, autrices, artistes, réalisateurs ou réalisatrices… C'est eux qui nous intéressent, comment ils et elles s'emparent de la machine et pas l'inverse.
Quand on a trouvé une forme d'équilibre, même imparfait, alors on s'est lancés. Le but c'est de tester, d'expérimenter, et l'émission elle-même va forcément évoluer avec les outils et les usages. C'est un organisme vivant, pas un produit fini et définitif.
NotebookLM pour créer vos présentateurs virtuels : c'était ton idée ? Comment vous avez vendu ça en interne chez Arte ? Je me demande comment c'est perçu par le reste des équipes...
Forcément je viens de la radio et du podcast, donc m'amuser avec les voix off, c'est mon terrain de jeu de prédilection. Très vite j'ai été fasciné par le générateur de podcast de NotebookLM. C'est terrifiant comme c'est efficace et vraisemblable, surtout en anglais.
Mais très rapidement, on a cherché à détourner l'outil. Parce que ce qui nous intéresse dans PhantasIA, ce sont surtout les détournements créatifs. Donc, au-delà de commenter l'émission, j'ai cherché à faire dérailler les hosts : leur faire commenter leur condition d'IA, avoir un vertige existentiel… On s'est beaucoup amusés. Expérimenter des outils nous permet de réfléchir justement à leurs usages.
Et ce qu'il faut noter, c'est qu'au début l'outil n'était disponible qu'en anglais. Donc quand j'ai réussi à le faire parler en français dans l'épisode 1, la prosodie et l'accent étaient très étranges, mi-canadien mi-chelou, et c'est aussi ça qui nous plaisait : l'artefact, le glitch. Ne surtout pas chercher l'hyperréalisme, qui à titre personnel, m'ennuie profondément. Depuis, ils ont développé l'outil en français, ce qui lui fait perdre tout son charme. Charge à nous de trouver un nouveau biais pour recréer de la surprise et de l'aspérité.
Sur la réception, aucun problème : je crois que l'Atelier de recherche est très exactement dans son rôle. Et d'ailleurs, rien ne dit que les voix resteront produites ainsi. Tout dépend de ce qui nous amusera et qu'on voudra tester demain.
Tu penses quoi de cette paranoïa du grand remplacement par les IA ?
Je la comprends évidemment. Il y a de quoi avoir peur, comme dans tous les grands moments de bascule.
Cette peur, elle est légitime à plusieurs endroits : celui de la casse sociale qui s'annonce notamment, parce que c'est une évidence, que comme lors de toutes les grandes révolutions industrielles le marché de l'emploi va être profondément reconfiguré et que certaines fonctions vont disparaître ou être fortement redistribuées. Avec la spécificité que cette fois-ci cela va toucher des métiers intellectuels et créatifs. L'autre pendant qui je pense mérite une attention particulière et justifie une crainte, c'est la société du contrôle et plus largement la question des droits humains. Parce que jamais des entreprises et des gouvernements n'auront concentré dans leur main des outils aussi puissants.
En revanche, cette peur relève aussi à proprement parler d'une paranoïa à plusieurs égards. La SF, les séries, le cinéma nous ont construit un imaginaire, un inconscient collectif, avec l'idée qu'un jour l'humain serait remplacé par la machine. On assiste pour moi à une forme de panique morale, fondée sur une erreur fondamentale : l'anthropomorphisme. On projette des intentions que l'IA n'a pas et n'aura jamais. Cela reste un programme informatique, un calcul statistique, qui simule l'intention, qui simule le sens. Donc je ne crois absolument pas au grand remplacement par l'IA, y compris dans l'art et la création. L'industrie de la création est en plein bouleversement. Mais l'intention artistique restera fondamentalement humaine.
Après avoir plongé dans ce monde pendant plus d'un an, est-ce que tu penses aujourd'hui qu'on assiste à une véritable révolution, ou plutôt à une nouvelle bulle économique, un effet de mode… ?
Un peu des deux. Il y a évidemment quelque chose de l'ordre de la bulle spéculative, avec une course à l'innovation poussée par l'oligarchie de la tech.
Mais en lame de fond, on vit un moment de bascule non seulement technologique mais anthropologique. Une révolution fondamentale dans notre culture, au sens le plus large : dans notre façon de penser, d'agir, de travailler et de créer. Et c'est plutôt cet aspect-là qui nous intéresse. Quand la bulle explosera, restera l'essentiel : de quelle façon vivons-nous et rêvons-nous dans ce monde nouveau ? L'art et la création seront alors là pour y répondre.
Et pour les artistes, l'IA est-elle une menace réelle ? Ou un nouvel allié ?
L'IA n'est pas une entité unique et monolithique. Il y a différents types d'IA (analytiques, génératives…), différents outils et différents usages de ces mêmes outils. Évidemment, c'est désormais un poncif de le dire : la démocratisation de certains outils, notamment d'IA générative, non seulement menace mais condamne certaines pratiques et fonctions dans les industries créatives.
Mais déjà, quand on parle de l'IA dans la création on parle souvent uniquement des outils commerciaux d'IA générative comme Midjourney, Veo, Runway…
Or certains artistes utilisent depuis de nombreuses années déjà des IA analytiques, entraînent des modèles à partir de leurs propres dataset, ou ont même développé leurs propres modèles. On assiste à l'émergence d'une véritable scène alternative qui s'appuie sur l'usage de logiciels libres, hébergés en local, et qui propose une vision non alignée par rapport à celle proposée par les géants de la tech.
Et puis je crois qu'il faut faire attention aux débats et postures de puristes. Ne pas recréer la querelle de l'apparition de l'appareil photo numérique, de la création musicale assistée par ordinateur ou du passage de Bob Dylan à la guitare électrique… L'IA est un nouvel instrument dans la palette des créateurs, qui depuis longtemps déjà utilisent les ordinateurs dans leurs processus, que ce soit en musique, en cinéma, en art contemporain. C'est une donnée technologique qui est là et avec laquelle il faut composer. Pour l'artiste la vraie question est : est-ce l'apparition d'un nouveau pinceau ou d'un nouvel appareil photo ? Autrement dit : est-ce juste un outil supplémentaire ou une révolution qui entraînera de nouvelles disciplines, de nouvelles pratiques, de nouvelles écritures ?
Tu observes quelles transformations concrètes chez les artistes que tu rencontres ?
Ce qui me paraît le plus intéressant, c'est que l'artiste solitaire rentre dans un rapport de dialogue dans son processus créatif. Que son intention devient aussi une réaction à une matière sur laquelle il n'a pas de maîtrise totale. L'IA n'est pas seulement un outil, c'est un agent d'interlocution, qui par ce qu'il renvoie d'inattendu à l'artiste permet d'ouvrir de nouveaux champs des possibles. En fait, j'ai le sentiment que la principale force de l'IA générative, c'est de recréer l'accident heureux. L'IA réintroduit dans l'art un élément essentiel : la sérendipité, le hasard qui stimule.
Comment vous choisissez les créateurs ? Quelle est votre ligne dans cet océan de possibilités ?
Je dois dire que la démocratisation des outils d'IA générative a créé un torrent de contenus sans intérêts produits à la chaîne. Mais PhantasIA reste une émission de création, donc c'est l'intérêt artistique, narratif ou éditorial qui nous guide. On ne s'intéresse pas tant à la prouesse technologique qu'à des démarches singulières, étonnantes, intéressantes. Des œuvres qui nous touchent ou qui nous questionnent. C'est assez simple de faire le tri.
Huit outils IA pour un épisode, c'est quand même un boulot monstre de coordonner tout ça... Concrètement ça change quoi dans vos méthodes de travail ?
Au final, on a un mode de production assez traditionnel : l'émission est produite par Arte Studio, on a une productrice, un chef op, un monteur… On achète des droits de diffusion de certaines œuvres, on commande des sujets, on en produit en interne et on initie de la création d'œuvres originales…
Ce qui change c'est juste que contrairement à ce qu'on pourrait penser, ça nous prend juste beaucoup plus de temps ! Déjà parce qu'on passe du temps à explorer les outils et les tester, parfois dans le vide sans que cela ne donne rien pour l'émission. Ensuite parce que le processus de création itératif demande de faire beaucoup beaucoup d'aller-retours pour obtenir un résultat satisfaisant. Pour produire les voix off par exemple sur NotebookLM, je dois produire des dizaines de podcasts puis en monter ensuite des extraits que je choisis. C'est pareil pour les artistes : la séquence sur le LSD dans l'épisode 1 était une commande à Mihai Grecu, il a passé des semaines entières à générer des plans pour avoir ce dont on avait besoin. Et enfin, chaque artiste a son propre pipeline de production spécifique : jamais personne n'utilise un seul outil magique. Chacun a son process, qui va passer d'abord dans un LLM, puis un générateur d'image fixe, puis un autre outil pour l'animer, puis un autre pour synchroniser l'image avec du son par exemple. Bref, il y a autant de modes de fabrication que de créateurs, ce qui rend les temps de fabrication difficiles à anticiper.
Une anecdote de production qui résume bien l'esprit PhantasIA ?
J'ai écrit de fausses sources en PDF, que je donnais à NotebookLM pour le nourrir et détourner l'usage de son outil de génération de podcast. À un moment donné j'ai oublié de renommer le document et donc j'ai uploadé un fichier nommé "document sans titre". Et là, l'IA a commencé à non pas commenter le contenu de ce que j'avais écrit mais le titre du document en mode "ohlala c'est vraiment un titre qui ne paie pas de mine, c'est d'une banalité terrible, typiquement humain en somme". On était morts de rire. Et évidemment on l'a exploité dans l'émission pour faire comme si les 2 IA étaient en train de se foutre de la gueule du titre PhantasIA.
Cette anecdote, elle est symptomatique de l'accident heureux qu'on recherche. Mais aussi de la réalité de nos processus de fabrication : oui, on utilise un logiciel de podcast génératif pour créer les voix off. Mais la réalité derrière c'est énormément énormément de travail et d'écriture. Bien plus que si on écrivions nous-mêmes les textes !! Il faut écrire les fausses sources, des prompts, générer des dizaines d'épisodes de podcasts pour obtenir des phrases qui nous semblent intéressantes. Et ensuite faire du montage à partir de toute cette matière, qui est la dernière étape d'écriture.
Comment suivre le rythme effréné de l'évolution des outils ?
On se tient informé évidemment, via des newsletters, des comptes sur les réseaux… Mais ce n'est pas la mission de PhantasIA, bien au contraire. On n'est pas dans une course à l'innovation ou à la dernière prouesse visuelle. Déjà parce qu'avec une émission mensuelle, on ne pourrait pas : ça va tout simplement trop vite. Et puis surtout, ce n'est pas notre propos. Ce n'est pas le degré d'innovation qui crée l'intérêt artistique ou narratif. Un exemple : dans l'épisode 1, on diffuse le court-métrage /IMAGINE de Anna Apter.
C'est un film qui date de 2023, la préhistoire de l'IA générative. Techniquement, il n'y a rien de fou. Esthétiquement, il documente un instant T des logiciels, avec un aspect forcément daté. Mais sa force, c'est son propos et son écriture. On a adoré sa façon d'utiliser l'IA pour raconter notre solitude contemporaine. Et en ça, il n'a rien perdu de sa pertinence.
Vous avez dû devenir fou devant la nouvelle version de VEO3...
C'est hallucinant, mais est-ce vraiment là que se situe le progrès ? La course au photoréalisme, encore une fois, c'est le sens que veulent donner les entreprises de la tech, avec là encore le fantasme du remplacement de l'humain par la machine. La véritable intérêt de l'IA se situe précisément à l'endroit où l'artiste peut exprimer quelque chose qu'il n'aurait pas pu sans l'IA.
D'ailleurs, on s'intéresse même à des artistes qui utilisent volontairement les anciennes versions des logiciels, pour retrouver la glitch ou l'hallucination qui les inspire.
Est-ce qu'on ne risque pas de tous devenir zinzins si les vidéos IA deviennent impossibles à détecter ?
Je crois que les images IA vont devenir la norme, notamment sur internet. À partir de là, il faut reconsidérer notre rapport à l'image, ne pas prendre ce que l'on voit pour argent comptant, et plutôt partir d'une posture de scepticisme a priori.
Ce qui est intéressant, c'est que ce basculement nous oblige à repenser notre éducation aux images. En réalité, l'artificialité de l'image a toujours existé : toute image est une construction, et même au-delà de la manipulation volontaire et du photomontage, une photo est une composition subjective sur le réel, un récit.
On a trop longtemps confondu le réel et ses représentations. Au moins face à l'IA, avec la conscience beaucoup plus nette de l'artificialité des images, on est obligés de faire cet effort de déconstruire le discours, de s'interroger sur la source et l'intention.
Du podcast à l'image IA, quels parallèles as-tu pu faire entre tes différents univers créatifs ?
La logique est la même : on nous pousse des solutions de plus en plus magiques, clé en main, qui vont permettre aux individus de se lancer dans la production de contenus et à l'industrie d'encore plus industrialiser. Je pense que les logiciels de génération de podcast vont saturer le marché de contenus encore plus standardisés que ce n'est déjà le cas, comme on le voit déjà avec l'image. Mais ce n'est qu'une accélération : nous sommes déjà submergés de contenus sans plus value. Je pense à titre personnel que l'on produit trop de contenu et que l'IA va accroître ce phénomène. Et pourtant, cela va aussi ouvrir de nouveaux espaces créatifs, les outils de podcasts génératifs, de clonage ou de synthèse vocale peuvent être détournés, réappropriés, et j'ai hâte d'entendre une fiction sonore qui joue avec tout ça ! C'est l'intention qui fera la différence, pas les outils.
Comment anticipes-tu l'évolution du métier de journaliste avec l'IA ?
On parle quasi exclusivement de l'enjeu des fake news, de la désinformation. C'est évidemment un sujet majeur : comment recréer des tiers de confiance qui nous permettent de faire société. Mais il y a d'autres enjeux pour le journalisme : par exemple, l'IA comme puissant outil d'analyse, notamment en journalisme d'investigation ou en data-journalisme. J'en connais qui voient un sacré terrain de jeu s'offrir à eux et qui vont pouvoir croiser avec gourmandise d'immenses bases de données qu'il était jusqu'alors impossible d'assimiler avec un esprit humain…
Qui tu nous recommandes de suivre, lire ou écouter pour bien comprendre tout ça ?
Du côté des théoriciens, je donnerais deux noms à suivre : Grégory Chatonsky, le pionnier de l'art contemporain avec IA. Ça fait 20 ans qu'il s'intéresse au sujet en tant qu'artiste et comme il est aussi philosophe, son blog est tout simplement passionnant pour prendre de la hauteur et sortir des poncifs sur l'art et l'IA.
Et tout ce qu'écrit la philosophe Anne Alombert sur l'IA sort aussi largement du lot.
Le journaliste David Carzon traite souvent de l'IA dans sa newsletter Hupster, et c'est toujours très bien senti (désolé Arnaud je fais de la pub pour la concurrence).
Récemment sont sortis en kiosque des dossiers spéciaux de la revue Esprit et de AOC qui valent le coup pour aussi sortir des lieux communs qu'on peut lire un peu partout.
Enfin, je recommande l'exposition Le monde selon l'IA au Jeu de Paume et son catalogue. Cela donne un bon panorama de l'état de l'art en la matière. Le commissaire Antonio Somaini est passionnant, une source intarissable sur le sujet.
Tes coups de cœur d'artistes ?
Mon chouchou, c'est un jeune réalisateur : Ismaël Joffroy Chandoutis. C'est avec lui que j'ai créé DamasIA, le clone IA d'Alain Damasio dans le cadre d'un spectacle live au festival Et maintenant organisé par Arte à la Gaîté lyrique.
Il a conceptualisé le post-documentaire, une démarche documentaire qui utilise l'IA pour raconter le réel. Il prépare des films qui vont faire date dans les prochaines années…
Sinon, pour un côté plus pop et surréalisme 3.0, j'adore le travail de deux artistes : la française Anne Horel, ses patates qui pleurent et son obsession pour Pedro Pascal, et la singapourienne Nice Aunties avec ses grand-mères psyché badass. Vous pouvez suivre les deux sur Instagram.
Enfin, il se passe plein de choses intéressantes en musique, notamment du côté de l'IRCAM. Mais je citerai le travail de Benoît Carré, ancien chanteur de pop qui a connu le succès dans les années 90 avec le groupe Lilicub (et sa chanson Voyage en Italie, j'adore). Depuis plus d'une dizaine d'années il expérimente avec l'IA mais dans une démarche pop. En ce moment il a un projet qu'on peut voir dans l'épisode 2 de PhantasIA où il fait reprendre PNL par Dalida. Forcément, je suis fan.
Et sinon, tu jongles entre Arte, Sonique, tes livres... Comment tu organises cette vie, t'as forcément dû créer un ChristopheGPT ?
Ahahah, tu sais à un moment donné j'ai voulu créer sur Sésame (app d'assistant vocal) un assistant de production virtuel, juste pour le mettre en scène en voix off de l'émission ! Mais disons que c'est plus une pirouette narrative qu'autre chose. Évidemment, les outils IA que l'on explore à travers la production de l'émission ont globalement intégré ma routine et mes process de travail.
Après, je pense qu'on utilise mal ces outils et que toute une génération risque de vraiment devenir teubé si l'on n'accompagne pas les nouveaux usages d'une éducation spécifique. Comme les artistes, en édito ou en prod, il faut utiliser ces outils comme un agent d'interlocution, comme un miroir de ses propres pratiques, et pas comme une béquille.
Et puis surtout j'ai la chance de travailler avec des supers humains que ce soit à Arte ou Sonique.
Cette immersion IA a-t-elle changé ton approche personnelle de la création ?
Je suis quelqu'un qui a toujours eu besoin d'un ou une sparring partner pour créer. J'ai systématiquement besoin d'avoir un.e acolyte pour faire du ping-pong, j'ai un esprit en rebond, c'est ce qui me stimule. Mais on n'a pas toujours l'occasion d'avoir ce répondant (même si je le fais déjà beaucoup avec ma compagne qui est aussi journaliste ! On se challenge réciproquement et on brainstorme pour nos différents projets). Je peux me sentir parfois très seul face à mon ordinateur. Avec l'IA générative, même quand je suis seul j'ai désormais un starter qui me permet d'enclencher les choses en réagissant. Comme je te disais, j'ai toujours été assez friand de sérendipité et de détournement créatif, dans une de mes premières émissions sur France Inter (Au shaker, pas à la cuillère avec Tanguy Blum) en 2013, on "rentrait" dans des films en détournant les dialogues. Alors tu imagines le kiff que la générativité peut être !
PhantasIA dans deux ans, ça ressemblera à quoi ?
Si je le savais, cette émission n'aurait pas lieu d'être. Je ne sais même pas à quoi elle ressemblera dans 3 mois et c'est ça qui est excitant.
Penses-tu qu'on aura encore besoin de décrypter l'IA dans quelques années ou elle sera devenue invisible ?
Elle est intégrée à nos outils quotidiens depuis bien longtemps sans qu'on le voit. Les algorithmes sont partout : dans votre moteur de recherche, l'application qui indique votre chemin, dans celle qui vous propose de la musique ou des séries, mais même dans la gestion automatisée de vos allocations sociales. Ce qui change avec les LLM comme ChatGPT, c'est que le grand public prend conscience de la puissance de ces outils : ils deviennent justement visibles ! Mais ils vont être évidemment de plus en plus intégrés, au point probablement de redevenir invisibles.
C'est d'autant plus une urgence de s'emparer de l'outil via la création, via l'éducation à l'image. Il va falloir être extrêmement vigilants sur les dérives potentielles, notamment en termes de protection des droits humains (Sonique va sortir une série documentaire en podcast sur le sujet pour Amnesty International donc je sais de quoi je parle !). Il va y avoir un vrai enjeu de liberté algorithmique, de pouvoir choisir, de pouvoir s'en passer, ou savoir qui est derrière. Les artistes peuvent nous aider à y voir plus clair.
Question méta pour finir : j'ai demandé à une IA de t'interroger. Elle m'a répondu : « Christophe, en créant PhantasIA avec des outils comme moi, ne penses-tu pas qu'il y a quelque chose de vertigineux, voire d'absurde, à interroger ce que nous sommes en train de devenir ensemble - toi l'humain créateur, moi l'outil qui t'aide à créer - sans vraiment savoir où cette collaboration nous mène ? »
J'ai demandé à ChatGPT de répondre à ma place : « Justement, c'est ça qui est beau : on avance ensemble dans le brouillard, mais on le rend lumineux. PhantasIA n'a pas de carte, seulement une boussole — et c'est l'imagination. »
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