Mon Internet : Teki Latex
Figure de la scène underground française, du rap à la musique électronique, Teki Latex a toujours un coup d'avance. Il nous ouvre les portes de son Internet où il cultive un goût de l'incongru.
C’est le premier numéro de Mon Internet ! L’idée est simple : je demande aux personnes que j’aime suivre en ligne de me parler de leur Internet. Et quelle joie de recevoir Teki Latex pour inaugurer ce nouveau format d’interview. Faut-il encore le présenter ? Membre fondateur du groupe de rap TTC, pionnier du mariage entre rap et musique électronique, pilier du label Institubes à l’apogée des musiques de blog, avant de lancer l’excellente émission Overdrive Infinity, puis programmateur pour Boiler room, avant de s’imposer comme dj… En bref, il a toujours su traverser les époques en gardant son avance. Et sa force se cultive peut-être de l’autre côté de l’écran, dans les recoins méconnus de son Internet.
Quel est ton premier souvenir Internet ?
Chercher le site web du Wu tang clan sur le seul ordinateur de l'école qui avait internet.
Internet, c'était mieux avant ?
L'internet à toujours été l'internet, et sera toujours l'internet. Mais il y a eu une période vers 2002-2005, avant l'omniprésence des réseaux sociaux, avant les services de streaming, où le fait d'aller sur des blogs et de télécharger des mp3s, des remixes, des bootlegs, des morceaux rares et des versions bizarres était une véritable joie qu'on ne retrouve plus depuis. C'était une époque où la recherche de musique sur internet avait des airs de chasse aux trésors, une ère dont je suis nostalgique.
Je te suis depuis l'époque Myspace et tu es toujours l'un des premiers à investir les nouvelles plateformes. Est-ce que c'est indispensable pour un artiste indé ?
C'est un truc de survie. J'ai commencé la musique à une époque où pour que l'on parle de ton groupe ou de ton disque au delà d'une chronique ou, si tu avais de la chance, d'une interview, ta maison de disque devait acheter des pages de pub dans un magazine musical, peut-être dans l'espoir de t'obtenir la couverture. Avec un peu de chance si tu avais vraiment un immense budget le label pouvait payer pour que la couverture du magazine en question avec ta photo dessus soit placardée dans les vitrines des kiosques. C'était vraiment le seul moyen d'occuper de l'espace. Les groupes de rap avaient trouvé le moyen de créer des campagnes de street promo pour contourner le problème mais même ça, ça avait un prix.
Quand les réseaux sociaux sont arrivés, ça a vraiment donné la possibilité aux indés de se créer un buzz sans avoir à dépenser tout cet argent, sans grosse maison de disque derrière, ça a permis aux indépendants de jouer à armes un peu plus égales. Pour cette raison je suis très heureux de l'existence des réseaux sociaux et jamais on ne verra me plaindre parce que je dois poster une photo sur instagram pour faire avancer ou perdurer ma carrière.
Comment tu te sens avec les nouveaux réseaux comme Tik Tok ?
J'ai complètement laissé tomber Facebook et Twitter pour me concentrer sur Instagram qui est ma plateforme préférée. Je ne regarde presque pas Tik Tok, mais je poste dessus en y consacrant le moins de temps possible, c'est-à-dire en recyclant le contenu vidéo que j'ai déjà posté sur instagram. Si un jour Tik Tok génère plus de trafic qu'instagram pour moi, je m'adapterai en conséquence.
Qu'est-ce qui apparait sur ta FYP ?
Des recettes dégueulasses de choucroute au Nutella, des mauvais DJs de Hard Techno, et quand j'ai un peu de chance des top 10 des morceaux les plus vendus en italie en 1987
Quel est le nouveau réseau à suivre de près ?
Habbo Hotel

Tu penses quoi de Substack, tu suis des newsletters ?
Non pas encore, mais peut-être que je devrais suivre la nouvelle newsletter du journaliste David Bola WAF-WAF, sur les musiques de niches. Je vais m'y mettre c'est promis, c'est le nouvel eldorado de la presse musicale j'ai l'impression non?
Et X (anciennement Twitter), tu continues de l'utiliser ? Est-ce que tu as testé les alternatives ?
J'ai plus le temps pour ça et ça me paraît très toxique. Je n'ai plus l'âge pour les débats futiles. J'ai déjà donné.
Comme pour beaucoup d'artistes, j'ai l'impression que c'est Instagram qui t'occupes le plus. Comment tu vois l'évolution de cette plateforme ?
L'algorithme est très difficile à dompter mais ça reste une plateforme instinctive et riche en possibilités.
Qu'est-ce que tu penses des récentes annonces de Meta qui explique utiliser tout ce qui est publié sur ses réseaux pour alimenter ses modèles d'intelligence artificielle ?
Je pense vivement Skynet et les Terminators qu'on en finisse avec cette existence futile
Ton dernier post qui été viral ?
Ça dépend où tu places ton curseur de viralité mais le reel où je joue le générique de Succession au milieu de mon DJ set à la Machine du Moulin Rouge l'an dernier en est à 5,7 millions de vues.
Quelle est la recette qui fonctionne pour toi ?
Rester moi-même ça c'est certain.
La personne qui t'inspire le plus sur les réseaux ?
Bigtime Tommie (Tommie Romola), un italo américain du New Jersey qui donne des conseils de vie en écoutant du Latin Freestyle 80s dans sa voiture. C'est lui qui m'a dit de rester moi-même.
Qui tu nous recommandes de suivre ?
@sushi_chef.hiro sur instagram un super chef japonais qui poste des recettes tous les jours, son savoir faire est indéniable et son enthousiasme est communicatif.
Comment évolue le rôle du curator ?
Cette histoire de curation c'est vraiment de l'arnaque, il suffit juste de savoir ce que l'on aime et de le partager, ça n'a rien de compliqué. Après il se trouve que mes goûts sont supers, et que naturellement je ne m'intéresse pas aux gros trucs bateaux de normies que tout le monde connait déjà. Depuis mon adolescence je vais m'intéresser à des trucs cools que les autres gens ne connaissent pas, ce qui fait de moi un super curator.
Tu consommes quoi sur Youtube ?
Des critiques et analyses de cinéma sur des films que je ne verrai jamais. De longues analyses de 3 heures super poussées sur la mythologie de Game Of Thrones. Un gars appelé "Bass fishing productions" qui apparemment trouve des poissons exotiques dans des égouts dégueulasses random derrière un Walmart en Floride. Des megamixes de morceaux produits par Stock, Aitken & Waterman. Des génériques d'animes japonais. Des DJ sets de Hard House enregistrés au mexique en 1998.
Quelle est ta vidéo préférée ?
July 22, 2006 - Rachel Blake Interrupts the 2006 Lost Comic Con Panel
On trouve quoi dans tes favoris ?
Des sites de dropshipping de chemises hawaïennes imprimées en 3D.
C'est quoi ta routine Internet ?
Me lever et être sur internet toute la journée tous réseaux confondus. Pas de routine, pas d'organisation, l'anarchie.
Tes outils indispensables : navigateur, client mail, pour gérer tes réseaux... ?
Je n'ai pas d'outils spéciaux, je n'ai que les trucs basiques.
L’app la plus improbable sur ton tel ?
J'ai enlevé tous les trucs farfelus pour faire de la place mais bizarrement j'ai toujours l'app "boussole", on ne sait jamais.
C'est quoi ton temps d'écran moyen ?
Je ne veux surtout jamais le savoir.
Est-ce que notre addiction aux écrans est un problème ?
C'est perso mais comme tous les gens qui ont une addiction, je ne vois pas ça comme un problème. Mais je ne suis pas non plus convaincu que je serais beaucoup plus productif sans téléphone ou ordinateur. Le fait d'être perpétuellement en ligne me motive à créer des choses pour pouvoir les poster, c'est déjà mieux que de ne rien foutre.
C'est quoi le dernier site sur ton historique de recherche ?
Pour une paire de chaussures que je compte m'acheter, la Hedgehog 06 de chez The North Face.
Tu peux nous montrer ton fond d'écran ?
La dernière photo sur ton tel ?
Raconte nous ta meilleure histoire (ou ta pire histoire) sur internet ?
Pour revenir sur Habbo Hotel qui était un genre de réseau social avec des personnages en pixel art entre les Sims et Animal Crossing, j'avais fait un partenariat avec eux vers 2007 pour la promo de mon album Party de Plaisir et j'avais passé une heure à raconter des conneries à des enfants via un petit avatar Teki Latex dans cet hôtel virtuel. Des années après, tu n'imagines pas le nombre de gens qui viennent me voir en club pour me dire "j'étais sur Habbo quand tu étais venu faire ta promo! j'avais 12 ans! Maintenant je suis trentenaire j'ai monté ma start up et je suis torse nu dans un club Berlinois en train de te regarder mixer de la techno!"
Internet ressemblera à quoi dans 10 ans ?
Aux événements décrits dans la série "Skibidi toilet"